J'ai accueilli des étrangers chez moi


Prélude
Cet article n'a pas pour but de dénoncer, juger ou me faire encenser. Ce sont mes mots, mon ressenti personnel, mon histoire et elle n'a aucunement la prétention d'être plus ou moins honorable que celle de n'importe qui d'autre.

Ma mère travaille avec des jeunes en difficultés qui pour la plupart sont étrangers.
Elle leur sert de "guide" de soutien dans leurs démarches scolaires et/ou professionnelles, tantôt professeur tantôt assistante sociale elle les aide à avancer et leur donne les clefs de la réussite, à eux d'ouvrir les portes qu'ils jugeront propices à leur avenir.

Parmi eux un couple, la vingtaine et deux enfants en bas âge. Ils sont arrivés d'Italie et pensaient retrouver de la famille en France sans savoir que celle-ci vivait dans un camp de Roms.
Ils se sont donc retrouvés à quatre dans une caravane sans eau ni électricité avec deux enfants dont un bébé.

J'ai donc proposé à ma mère de les accueillir chez moi ce week-end car je serais sur Paris à tenter de me trouver un mari ou à défaut un pénis. J'avais tout de même certaines interrogations sur leur histoire :

- Pourquoi sont-ils venus en France sans réel plan ?
- Pourquoi ne savaient-ils pas qu'ils se retrouveraient dans un camp de Roms ?

Et là, ma mère m'a répondu dans le plus grand des calmes : parce que leur famille est roumaine, ils vivent là-bas.

Quoi ? Des roumains ? C'est mort.

J'vais pas accueillir des roumains chez moi cimer mais non cimer, impossible.

Le lendemain j'avais déjà oublié ma proposition de la veille et me demandais si j'allais mettre mes baskets Maje ou mes bottines Kookaï lorsque j'ai reçu un message de ma mère.
La famille romano-italienne acceptait ma proposition d'hébergement et ils étaient très contents.

Et merde. Sur le moment j'avais eu de la peine pour eux et pour leur histoire sauf qu'après réflexion l'histoire c'était que j'allais accueillir des roumains chez moi.
Des ROUMAINS qui pourraient me dépouiller de mes bijoux et emporter mon ordi que j'ai mis trois mois à payer.

Bien-sûr qu'ils étaient en difficulté et bien sûr que je voulais les aider, mais que savait-on d'eux finalement ? Rien du tout.
On se fait trahir par des amis, de la famille, des proches ... la confiance est une denrée rare, pourquoi des gens qui ne peuvent plus nourrir leurs enfants ne pourraient-ils pas par désespoir me voler ?
Qu'en est-il des gens que l'on ne connaît pas ? Aussi malheureux soient-ils peut-on leur faire confiance ?

La vérité c'est que tout cela m'a profondément retournée et a remis tous mes beaux idéaux en cause.
Ah elle est belle la Mona avec ses beaux principes, sa soi-disant solidarité, son idéologie de l'unité et de l’aumône.

MON GROS CUL, c'est bien beau d'être Charlie, d'hurler sur le FN et leur stigmatisation des étrangers et de la différence, des médias qui engendrent la haine de l'autre, Facebook et ses photos montages, les syriens qui se noient et les français qui gueulent ...
Quand c'est à toi d'accueillir des étrangers tu te sens comme une merde de penser à tout ça, à ton petit confort ébranlé, tes bijoux de merde potentiellement revendables, à tes draps qui seront salis ...
Ah elle est belle Mona avec ses idées de fachos de merde, elle ouvre plus sa gueule hein ?!!
J'ai tellement culpabilisé de penser au pire, de regretter d'avoir proposé mon aide, j'étais perdue avec mes principes solidaires et mon confort.
Et si et si et si ? Et si tout se passait bien ? Et si tout se passait mal ?

La partie sombre de moi-même ne pensait qu'à cette famille de roumains, aux pickpockets, au "tiké restoren sivouplé", aux enfants qu'on envoie faire la manche, à Enquêtes Exclusives le dimanche soir etc etc.
Aux cousins qui pourraient les rejoindre et partir avec mon frigo, au Louis d'or que papy m'a offert, à mon mascara Dior et toutes ses futilités qui accessoirisent ma vie de petite connasse qui ne pense qu'à sa gueule, même quand elle veut faire une bonne action.

Au fond de moi j'avais peur, peur d'eux, peur de l'inconnu et des inconnus et pourquoi ?
Parce qu'ils étaient roumains.
Ils ont vécu en Italie, parlent italien mieux que moi mais le raccourci dans ma tête, la stupidité et l'ignorance prirent la place sur la raison. Et sur mon coeur.
Et puis après plusieurs heures à ressasser mes appréhensions je me suis enfin mise à penser à eux.
Oui j'avais peur, et eux ?

Arriver dans un pays qu'ils ne connaissaient pas, ne pas parler la langue ni la comprendre, penser retrouver des amis ou de la famille et finir dans une caravane aux conditions sanitaires déplorables, ne plus pouvoir allaiter son enfant parce qu'on a plus de lait tant on est stressée, triste et surtout encore plus apeurée que moi.
Alors oui on peut penser qu'on ne va pas dans un pays si on ne parle pas la langue (coucou Marine) mais toi mon pote quand tu vas en Australie c'est pour apprendre l'anglais non ?
Quand tu pars vivre en Chine tu parles déjà le mandarin ?

Tellement de préjugés que nous avons, vous avez, j'ai ... on veut faire le bien mais nous pensons que le simple fait d'y penser agit en qualité d'action.
Un peu comme quand je dis que je vais aller courir, le fait de le dire, le penser et le vouloir me donne l'impression de l'avoir fait.
Il n'en est rien, je suis une baltringue parmi la foule.
J'ai lavé mon appartement, sorti des pom'potes pour les petits, j'ai rassemblé tous mes bijoux que j'ai mis dans un sac avec mon ordi et je suis partie à Paris.
Quelques heures plus tard ma mère et ma soeur les accueillaient chez moi puis récupéraient mon sac débordant de bijoux en toc.
Ensuite ma soeur m'a appelé en pleurant.

Je vous passerais les détails sur le ressenti d'un SDF lorsqu'il franchit la porte d'un appartement dont la pièce est chauffée à 20°C, sur la joie d'un paquet de pâtes et d'une sauce tomate carrefour, d'une baignoire avec eau chaude à volonté.
D'un enfant qui aperçoit le parc et court vers le toboggan comme s'il était à Disneyland. L'émotion d'un regard lorsqu'il aperçoit le lit, le canapé, les couvertures ... 
Ma vie, le temps d'une soirée. Un confort dont nous avons l'habitude mais qui pour eux est un miracle.

Lorsque je suis rentrée le lendemain, l'appartement était rangé, nettoyé et le chauffage avait été baissé.
On n'aurait jamais deviné qu'une famille de quatre personnes avait dormi ici ou était simplement venue si je n'avais pas vu ma bague.
Ma bague en or blanc avec la pierre bleue que j'avais égaré il y a plusieurs jours, elle était là toute brillante posée sur ma table de chevet en évidence.
Ils avaient dû la retrouver en faisant le ménage et l'avaient posée ici.
C'est là que j'ai commencé à pleurer.

J'ai observé les lieux et puis je l'ai vu : la lettre. Arrachée d'un cahier d'école elle était posée sur ma table basse et écrite en italien. Je l'ai lu et là je me suis effondrée.

J'ai pleuré d'émotion, j'ai tout relâché, toutes mes peurs, toutes mes craintes se sont transformées en culpabilité immense, dévorante, puis ont mué en fierté, en joie puis en tristesse.
J'étais touchée au plus profond de moi, je pleurais sur ma housse de couette Ikea, devant mon étagère à chaussures qui débordait, je pleurais en relisant leurs mots. je pleurais de leur geste en imaginant ce qu'ils faisaient au moment où moi je me vidais de larmes dans mon appartement chauffé.

Ma peur avait parlé et j'en avais honte. Au final, ils ont pu profiter de ce que nous avons la chance d'avoir au quotidien et dont nous avons l'habitude, quelque chose de naturel pour nous, une douche, un micro-onde, un oreiller ...
Je ne fais ni une leçon de morale ni me prends pour Mère Teresa, cet article résume juste la putain de leçon de vie et d'humilité que ces personnes m'ont offerte.
Je ne suis pas mieux que vous, mieux que d'autres ou moins bien qu'eux, je ne suis qu'un être humain qui a eu raison de faire preuve d'humanité.

Cet article, c'est juste un gros FERME TA GUEULE à la partie sombre et stupide de mon cerveau, à ceux qui pensent que l'autre, l'inconnu, l'étranger, le différent sont un danger, un parasite, un nuisible, tout comme je l'ai pensé pendant un court instant.
Que les roumains ceci, que les étrangers cela. Finalement eux, ne pleurent pas.
Moi j'ai lu leur lettre et j'en pleure encore.

Et lorsque je vis des choses comme celles-ci, je retrouve peu à peu foi en l'Humanité.

Finalement c'est peut-être ça le secret, vivre ce genre d'expérience pour faire de notre monde un monde meilleur.

Nous ne nous attendions pas à un geste aussi grand.
Nous te remercions de tout coeur toi et ta famille.
Nous nous sommes sentis très soulagés.
Un grand baiser de toute la famille.

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