Ce jour où ma soeur n'a pas pu prendre l'avion et que nous l'avons abandonné à Beauvais - Récit de trois jours de périple sans papiers

Ou le titre le plus long de l'histoire du blog.

Depuis ma plus tendre enfance, ma grand-mère nous disait chaque année qu'on irait en Sardaigne - le pays de mes grands-parents - cet été.

Finalement, on y allait pas et elle nous répétait alors "ma l'année plochaine nous li va soure" et ce, depuis toujours. C'était devenu un rituel, dire qu'on irait en Sardaigne l'année prochaine et ce, chaque année.

Malheureusement nous n'avons pas eu le temps d'y aller ensemble et quand elle est partie soudainement j'ai décidé d’y emmener toute ma famille.
C'était un hommage, un clin d’œil, elle nous l'avait promis mais n'avait pas pu réaliser ce souhait alors moi, je l'ai réalisé pour elle.

Si je ne fais rien dans ma famille il ne se passe jamais rien. J'avais donc décidé de prendre les choses en main et de ne laisser à personne le choix ou la réflexion. Les billets ont été pris pour le mois d'août et répartis entre les ferries et les avions.

L'été 2009 nous nous sommes donc tous envolés pour la terre de mes grands-parents, pour un voyage familial, spirituel et entièrement kassdédi à ma grand-mère.
Nous sommes partis tous ensemble, archi motivés, archis heureux.
Enfin, tous sauf une personne.

L'histoire était simple : j'avais pris deux billets en ferry pour ma mère et mon grand-père - mon Papé n'aimant que très peu l'avion - mais aussi parce qu'il nous fallait la Fiat familiale sur place.

Pour moi, ma soeur, son mec, ma tante et ma cousine j'avais opté pour Ryanair AKA c'était pas cher et bien pratique - mais surtout pas cher. 
Si vous vous faites chier regardez les prix des billets d'avion Air France pour Olbia ou Alghero, vous allez kiffer.

Le fait est qu'évidemment, avec ma famille de barjots (aucun rapport avec Frigide ndrl) il faut toujours s'attendre à une grosse coronès dans le tiramisu.
La coronès c'était ma soeur qui n'avait accessoirement plus de papiers en règle. Cette charmante enfant s'en est aperçue à quelques semaines du départ et s'est empressée d'aller refaire ses papiers à la mairie car sa carte d'identité était périmée depuis deux ans.

Evidemment, en plein été et en période normale d'ailleurs, faire une carte d'identité française en région parisienne (les provinciaux je ne sais pas) ne prend pas une semaine mais un bon mois.

Elle n'aurait donc pas sa carte à temps mais avec le justificatif de la mairie indiquant que c'était en cours, elle et ma ma mère pensaient que ça passerait crème.
Note de l'auteur : la carte d'identité italienne se fait sur place pour la modique somme de 5€74. Merci à tous et vive la France.

Je les ai averti à maintes reprises que ça n'irait pas, qu'il fallait trouver une autre solution mais on ne m'écoute jamais.
Je les ai prévenu que ça allait être mort, qu'elle ne pourrait jamais passer la douane de Ryanair et que merde vous me faites tous chier démerdez-vous.

- mais t'inquiète ! avec le papier de la mairie ça ira j'en suis sure ! a dit ma mère.
- ouesh tu veux quoi ? a dit ma soeur (16 ans).
- niquez-vous tous. a dit Mona (19 ans).

Ma mère est partie en voiture avec Papé deux jours avant nous et le jour J, nous avons tous embarqué à bord du bus Ryanair pour Beauvais (coucou Amandine). Nous étions tous excited et impatients d'enfin, rejoindre le pays de ma maman. 
Il n'en fut rien, ma soeur n'a pas dépassé l'accueil de l'aéroport.

Quand il y a écrit "carte d'identité en cours de validité" dans les conditions générales de Ryanair c'est que "carte d'identité en cours de validité" est obligatoire pour Ryanair.

Est-ce-que ma soeur pensait réellement passer telle la princesse du 78 avec sa carte datant de 1997 ? Tout à fait.
 
Est-ce-qu'elle s'est faite recal' en 2/2 avec son papier de merde ? Evidemment.
Est-ce-que j'ai hurlé MAIS JE VOUS L'AVAIS DIT PUTAIN !!!!! à travers l'aéroport ? SANS BLAGUE.

On a tenté de négocier, pleurer, hurler, insulter, re-pleurer, re-négocier... sans succès, elle n'était pas autorisée à prendre l'avion. Elle devait rester là.

C'était le dernier appel pour notre vol, le mec de ma soeur venait de payer 150€ de surplus de bagages (cimer Ryanair) et clairement, on n'allait pas camper ici.
J'ai dit à la douanière (qui suait à mort des boobs, ça m'avait marqué) que toute ma famille était en Italie, qu'elle allait être seule si elle ne partait pas et qu'en plus elle était mineure.

- Bah restez ici avec elle. Il est interdit de laisser une mineure.

Ok ! Bon bah bisous Meghann et à dans trois semaines ! J'ai donné le billet de retour en bus à ma soeur, lui ai claqué la bise et ALLEZ BISOUS CIAO BYE je me suis carapatée en salle d'embarquement, suivie par le reste de la famille, laissant ma soeur au milieu du hall avec son sac à dos et sa tête de miskina.

On a pris l'avion, un peu chafouins d'avoir abandonné ma soeur et on a atterri en Sardaigne.
Ma famille nous attendait dans le hall, ma mère pleurait sa fille laissée dans l'Oise, mon beau-frère retenait ses larmes - mais à cause des 150€ payés pour excédent de bagages -  mon grand-père faisait "ma nimepolte quoua ma nimepolte quoua" en secouant la tête, ma cousine ne savait plus où elle était et ma tante m'a fait le regard de "tu l'avais dit, je sais que tu l'avais dit" de soutien.

On est tous montés dans la Fiat familiale et on a commencé nos vacances, sans elle, en attendant qu'elle nous rejoigne par un autre moyen.

La réalité des faits, c'est que ma soeur a traversé la France et la Corse en toute clandestinité pendant trois jours.
En exclue mondiale je vous raconte son périple.

***

Ok donc j'étais là, avec ma valise et mon papier de merde de la mairie et j'étais grave énervée.

J'oscillais entre pleurer parce que j'suis une victime ou hurler parce que ces batards m'avaient tous abandonnés.
Et ma soeur là, avec sa tête, j'ai trop la rage.
J'ai même pas le temps de pleurer en fait, le bus pour Paris va bientôt partir. J'suis à Beauvais là, mais c'est quoi ce plan de merde ? 

J'ai couru (en pleurant quand même) pour attraper le car et j'étais évidemment assise d'un mec qui avait confondu un déo avec un sauciflard.
Je suis arrivée à Paris, je ne savais même pas où j'allais, je ne connaissais pas la capitale et j'étais incapable de demander du ketchup au resto alors imaginez-moi, en plein milieu de Paname avec ma valise à roulettes.

Heureusement que ma mère m'avait laissé sa carte bleue, je vais aller m'acheter des clopes. 
Bon, je fais quoi maintenant ?
Ok tout d'abord appeler le mec de ma tante pour dormir chez eux ce soir, pendant que toute ma famille sera ensemble autour d'une méga table à bouffer de la pasta comme des porcs. Les traîtres.

Ils m'ont laissé à Beauvais les enfoirés !
***

Ma soeur a donc appelé le compagnon de ma tante qui l'a hébergé pour la nuit.
Le plan était le suivant : elle devait nous rejoindre en train, là où on ne demandait pas les papiers d'identité (à l'époque). Elle prendrait le train pour Toulon, puis le ferry pour la Sardaigne.

Ça c'était le plan de base qui évidemment, ne s'est absolument pas déroulé comme prévu.

Le lendemain à l'aube - 13h18 - mon oncle a accompagné ma soeur à la gare d'Austerlitz et lui a pris un billet, toujours avec la carte bleue de maman, pour Toulon.
Entre-temps ma soeur a eu le temps de se faire poser un tissage à Château d'eau et de s'acheter trois bouquins de 300 pages. Il fallait bien passer le temps.

Ma soeur avait 16 ans au moment des faits et ne connaissait rien de la life. Elle n'était, et n'est toujours pas d'ailleurs, familière des transports en commun et encore moins à Paris et encore moins dans une gare aussi grande que celle d'Austerlitz.

Mon oncle devait aller travailler donc après lui avoir fait l'accolade du "bon chance", elle s'est dirigée vers son quai.
Elle a demandé son chemin, c'est-à-dire son train à un agent SNCF qui le lui a indiqué et elle est montée à bord pour le début de son périple. 
Qui ne faisait - malheureusement - que commencer.

Elle a lu, dormi, mangé les chips à 8€95 du wagon bar, re-dormi, pesté comme sa famille qui se dorait la pilule sur une plage de sable chaud puis s'est rendormie la tête collée contre son livre.

"Mesdames et Messieurs,  nous entrons en gare de Draguignan, nous vous remercions de n'oublier aucun bagage dans les wagons. Merci d'avoir choisi la SNCF pour votre voyage et à bientôt sur nos rails".

Dragui-quoi ?

Moment Wikipedia : Draguignan est une commune française située dans le département du Var en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. 

Comprendre : absolument pas Toulon, ville qui ne desservait absolument pas les ferries pour la Sardaigne.

Ma soeur s'est dirigée vers l'accueil de la gare, c'était la fin de journée et la température avoisinait les 68°C.

- Mais qu'est ce que je fous là ? Madame ! Excusez-moi ? On est pas à Toulon ?
- Oh petiote nang ! Oné pas à Toulong Mademoiselleuh ! Vous êteuh à Draguignang !
- Mais mais... pourquoi ?
- Hé bé pareuceuqueuh c'est la villeuh de destinationg du traing pardi !

Ma soeur avait-elle demandé son chemin en gare d'Austerlitz au seul agent SNCF confondant le train pour Toulon de celui pour Draguignan ? Absolument.

 

Étions-nous réellement en train de nous goinfrer de tiramisu au moment où ma soeur visitait la France ? Tout à fait.

Par "chance" une amie de ma tante vivait à 40 km de Draguignan et elle est venue récupérer ma soeur, au bout de sa vie et de Toulon.
Pendant ce temps nous prenions le cappuccino sur la terrasse ombragée de mon tonton Mario.

Le lendemain et toujours avec la carte bleue de ma mère, ma soeur a repris un billet de train pour Toulon et a bien veillé, cette fois, à demander confirmation de son train à environ 300 personnes.

Elle est donc enfin arrivée à mi-destination en fin de soirée, le temps de s'acheter à bouffer et une nouvelle cartouche de clopes.
Arrivée aux ferries, tous les bateaux pour la Sardaigne étaient complets - période du 15 août oblige - et les seuls ferries restants étaient pour la Corse.
De là-bas, elle pouvait rejoindre la Sardaigne, c'était la seule solution.
Pendant ce temps, nous faisions un pique-nique sur la plage en famille à base de focaccia et de mozzarella buffala. Mon beau-frère commençait à s'impatienter de ma soeur et moi, à avoir le teint doré.
J'ai oublié de préciser à l'assemblée que ma soeur à cette époque, s'habillait comme Paris Hilton.
Elle était donc vêtue d'une robe moulante cachant uniquement son pubis et de talons hauts durant tout son voyage, qui avait débuté à Beauvais.

La tenue de pouffe / le tissage blond vénitien, la clope au bec et la valise à roulettes imitation Burberry elle était au max de la maxance mais surtout, du confort lorsque l'on traverse le monde.

Ma soeur a finalement embarqué sur le ferry en direction de Porto-Vecchio, au sud de la Corse.
Sur le bateau, elle s'est trouvé un coin tranquille pour roupiller et haïr tranquillement sa famille qui devait sans doute manger une pizza alors qu'elle, dormait sur un ponton.

En réalité nous mangions des lasagnes mais là n'est pas le sujet.

C'est à ce moment qu'Ange a fait son entrée.
Ma soeur s'était tranquillement assoupie lorsque soudainement, elle a senti un regard sur elle.
Elle a ouvert les yeux puis juste là, devant elle, un homme la regardait, le visage rempli de balafres.  Elle a voulu hurler et lui griffer le visage (ou ce qu'il en restait) mais elle n'en a pas eu le temps,

- salut, t'as pas une clope ?
- heu si.

Elle a ouvert son sac et sorti une Marlboro de son étui imitation Vuitton Barbès et l'a tendu au mec le plus flippant - et mal-odorant - de la planète.

- cool, merci. Je m'appelle Ange et toi ?
- Meg.

Et là, Ange s'est posé au calme avec ma soeur et ils ont refait le monde sur le ponton du Corsica Ferry.

Ange devait rejoindre son cousin à Bonifacio, il avait voyagé depuis Marseille en stop et était crevé. En plus il n'avait plus de clopes et rien bouffé depuis deux jours.

Ma soeur a fait semblant de ne pas voir qu'il ne portait pas de chaussures et lui a filé son paquet d'Oréo. Pour la remercier il lui a offert son briquet favori, arborant une fille topless à genoux qui mangeait une banane. Ou autre.

- tu vas faire quoi en Corse ?
- je rejoins ma famille pour ensuite aller en Sardaigne, et toi ?
- j'suis en cavale, je dois aller me cacher chez mes cousins.
- ah cool.
- ouais, sale hsitoire, mais j'ai rien fait ! c'est la famille, je pouvais pas laisser faire tu vois !
- oui je vois.
- c'est normal de protéger sa famille non ? Même avec un fusil.
- oui oui c'est sur.
- toi ta famille ne te laisserait jamais tomber hein !?
- bah en fait ... 

Et elle s'est mise à raconter l'histoire depuis Beauvais.
Ange a proposé de tous nous buter mais Meghann a refusé, disant qu'elle s'en sortirait seule.
Trop aimable.

À ce moment précis de l'histoire, ma soeur s'est demandé pourquoi sa vie était peuplée de rencontres rocambolesques et pourquoi, tout ça n'arrivait qu'à elle.
Ange ne la lâchait pas, il avait fait d'elle sa confidente, sa BFF, son pilier de ponton. 

Comme quoi dans la vie, pour sympathiser avec des malfrats il faut leur offrir un paquet d'Oréo.
Ma soeur, elle, ne pensait qu'à fuir.

Lorsque Ange s'est enfin endormi, elle en a profité pour se barrer et a couru aussi vite qu'elle a pu (avec des plateformes achetées sur le marché dont il ne restait que les clous en guise de talons) de l'autre côté du bateau.

Elle s'est caché là tout le reste du voyage et autant vous dire qu'arrivée à Porto-Vecchio elle ne s'est pas éternisée sur le ponton et a tracé sa route, toujours vêtue comme une pute russe.

On n'a jamais su ce qu'était devenu Ange mais le mois suivant, une maison a explosé à Bonifacio.
Hasard ? Je ne pense pas.

En terre corse, elle ne devait pas chômer car elle devait maintenant rejoindre le nord de la Corse - Bastia précisément - pour ensuite prendre un autre bateau qui la relierait à la Sardaigne.

Tout le monde a suivi ? En gros elle devait traverser la Corse pour reprendre un autre bateau et nous rejoindre en Italie.
À votre question :

"comment rejoint-on le nord de la Corse lorsque vous êtes au sud ?"

la réponse est la suivante : en car.

Et c'était reparti pour une aventure ! Ma soeur a pris place à bord d'un car et a traversé la Corse dans un bus de touristes, avec les cages de poules et les vieux transpirants collés à elle.

Bon en fait non mais imaginez la scène c'est très cocasse.
En réalité elle a traversé le pays collée à une dame d'un certain âge extrêmement chic mais extrêmement mal-odorante. Comme quoi on peut porter du Chanel n°5 et sentir le fumier périmé.

Après des heures de car en plein cagnard et le regard hagard *poésie* elle est enfin arrivée tout en haut de la Corse, plus communément appelé le nord.

De notre côté, nous avions embarqué toute la mif dans la Fiat familiale et avons traversé la Sardaigne (ma famille étant du nord) KING OF THE NORTH ! pardon... pour rejoindre le sud et ainsi, prendre à notre tour le bateau pour récupérer ma soeur à Bastia.

AMBIANCE FAMILIALE DANSE DE VANDALE.

Là vous vous dites, mais pourquoi tout ça ? Pourquoi tous ces périples alors qu'il aurait été teeeellement plus simple de m'écouter et de faire ses papiers en temps et en heure et ainsi, éviter tous ces désagréments.

Mais non, c'était beaucoup plus lol de se taper ce petit tour de France et de Corse - et tout cela bien-sûr - sans papiers !
On a payé grave cher pour TOUS prendre le bateau et la bagnole avec, et quand on a ENFIN après trois jours de voyage, retrouvé ma soeur, elle était accroupie sur le sol à bouger sa tête de haut en bas.
Traumatisée la gamine.

Son mec lui a couru dans les bras comme dans les films (j'avais le seum, mais trois jours de bronzage de plus qu'elle), ma mère a pleuré (on est drama italia ou on l'est pas), mon grand-père a dit "ma nimepolte quoua, ma nimepolte quoua", ma tante a dit "c'est quoi ces cheveux ?" et ma cousine a demandé qui était cette dame qui sentait mauvais et avait l'air d'une évadée d'asile.



On voulait passer la journée ici - autant rentabiliser le billet de ferry -  puis repartir le soir mais non c'en était trop pour ma soeur elle a voulu rentrer subito en Sardaigne, et ne plus jamais prendre de transports de sa vie.

Evidemment, on a suivi son choix (on l'a pas trop eu) et nous avons repris la Fiat, un peu plus serrés mais au complet, pour rejoindre notre maison familiale.

Quand nous sommes arrivés, ma famille avait limite prévenu tout le village et arborait des banderoles "benvenuto Meghann !"
Il n'y en a eu que pour elle pendant des jours, jusqu'à ce que ma mère reçoive un appel de sa banque.

- Meghann ? viens ici tout de suite ! C'est quoi 105€ chez "Fatou Tifs & Co" ?
Et tout le reste ?

Je l'avais pas dit sérieux ?

Depuis, j'ai toujours la copie des papiers de ma soeur dans mon portefeuille.
Et elle, elle a toujours sa carte d'identité en cours de validité sur elle, même quand elle va acheter du pain.

Moralité : toujours m'écouter bordel.



Article entièrement dédicacé à ma soeur, qui a 16 ans à peine à traversé le pays avec brio (et la CB de maman)(et Ange).

16 commentaires